Juno et Bastien
Les temps des enfants:- Ju… Il vient bientôt ton papa ?
Bastien fronça les sourcils en posant sa question. C’était comme si il réalisait en prononçant ses mots que quelque chose n’allait pas. Juno resta impassible. Du haut de ces cinq ans, rien ne pouvait l’atteindre. Elle répondit vaguement à son ami qu’il ne devrait tarder.
Les deux enfants reprirent la construction de leur fort de neige. Il s’appliquait à faire s’élever les butes de neige qui leur servait de mur.
Les deux garnements n’étaient restés devant l’école, lorsque leur maîtresse quitta les lieux, elle ne se rendit pas compte qu’elle abandonnait deux enfants. Cela faisait plus d’une demi-heure que la cloche avait retenti. Bastien et Juno avaient regardé leurs camarades s’en aller avec leur parent tandis que le père de Juno ne venait toujours pas pour les reconduire chez eux. Trop absorbé par leurs jeux, ils n’avaient pas réalisé ce qui se passait.
Soudain, Bastien s’interrompit. Il avait remarqué une empreinte de pas dans la neige bien particulière. Il s’agissait d’un pied normal, mais l’un des dessins de la semelle était un visage totalement rond avec deux yeux tout aussi rond, ainsi qu’un grand sourire.
Ce smiley dessiné dans la neige alerta le petit garçon. Il interpela son amie et il en déduire tous les deux qu’un espion, envoyé par on ne sait qui, s’était glissé dans leur forteresse de neige.
Deux détectives venaient d’apparaître sur ce petit bout de trottoir. Leur mission était simple, il devait retrouver l’intrus et le neutraliser. Si il était entré dans le fort, il avait surement des informations capitales sur sa défense. Les deux mini-enquêteurs se lancèrent donc sur la piste des empreintes. Ils suivirent sur la neige le chemin qu’avait prit l’espion. Ils arrivèrent devant la porte de l’école où ils ne trouvèrent personne.
L’affaire se révélait complexe. Les deux enfants n’avaient découvert des empreintes qu’en direction du fort et aucun n’en ressortant. Juno décida de retourner à la forteresse dans l’espoir d’y dénicher l’intrus. Bastien allait la suivre quand il se rendit compte qu’après leur passage de nouvelles empreintes étaient apparues. Il fronça les sourcilles comme il l’avait déjà fait auparavant.
Mais, bien sur ! Il venait de trouver la réponse à leur intrigue. Il n’y avait tout bêtement pas d’intrus ou d’espion. Ces traces de pas n’étaient nul autre que celle de la petite Juno.
Au même moment, une voiture s’arrêta devant l’école. Le père de Juno en sortit, un peu paniquer. Il s’était oublié et n’avait pas vu le temps passé. Il avait laissé sa fille et le petit garçon, qu’elle avait invité, seul bien trop longtemps. Par chance, les enfants étaient toujours là et ils ne semblaient pas inquiets. L’homme eut un soupir de soulagement.
Les temps des rêves :Bastien et Juno étaient dans leur cabane de couverture. Il s’était réfugié dans leur quartier général. Dans ce lieu magique, fait de vieux draps et d’un bric à braque trouvé dans la chambre et la maison du jeune garçon, les enfants se sentaient invincible.
Il n’y avait de limite à leur aventure. Ils leur suffisaient d’y croire. Ce qui était d’autant plus magnifique qu’ils arrivaient à entrainer leur petit frère et sœur dans leurs rêveries.
Les deux enfants rentraient d’une mission dangereuse. Un inspecteur de la police avait été tué lors du transport d’un étrange masque. Par chance, il avait eu le temps de cacher ce masque et les deux enquêteurs avaient réussi à le retrouver, ainsi que le tueur sans que personne d’autre ne soit blessé.
Dix ans est un âge où on pense déjà au futur et sans savoir vraiment pourquoi les deux enfants se lancèrent dans une discussion rêveuse.
- Tu sais, Bastien, une chose que j’adorais faire. C’est réunir tous mes amis. Après, on monterait tous dans un bus et on partirait vers une plage. Celle où je suis allée en vacance en Belgique. Ce serait magique !
- Quand on sera plus grand, on apprendra à conduire et on partira là-bas !
- Oui, c’est quelque chose qu’on doit absolument faire avant de mourir…
- Oh, tu sais. On a le temps : Je mourrais à deux cent quarante deux ans.
- Deux cent quarante deux ans ?
- Oui, dans un accident de deltaplane. Ce sera juste avant mes deux cent quarante trois ans.
Les deux enfants sourirent. Une partie d’eux connaissant pertinemment la vérité. Bastien ne pourrait surement pas vivre si vieux, mais le rêve était plus beau et plus fort. Alors, ils continuaient de rêver.
Le temps de la sagesse :La femme traversa la route. Il se tenait étonnamment droite pour son âge, quatre-vingt cinq ans. Elle maintenait fermement son sac à main devant son grand manteau beige. Ces cheveux étaient blancs depuis bien des années, mais son visage avait été épargné par la vieillesse et seul de petites esquisses de rides y étaient apparues.
Elle tourna à gauche et s’engouffra dans une jolie petite maison, coincé entre deux immeubles bien plus imposant. Elle monta les quelques marches qui la séparait d’une autre porte, se déchaussa et entra sans frapper où s’annoncer.
La porte débouchait sur une grand salle qui était un mixe entre le bureau et la bibliothèque. D’immenses étagères couvertes de livre décoraient les murs ne laissant que les fenêtres comme ouverture. Une grande table en bois massif trônait sur la partie gauche de la salle, même si elle disparaissait presque sous les feuilles volantes et les livres ouverts. Face à elle de l’autre coté de la salle reposait un vieux bureau croulant, tout comme sa consœur, sous les documents divers et variés.
On entendait un frottement régulier ; celui d’un crayon sur du papier. Cela révélait donc la présence de quelqu’un. Cette personne se trouvait être un vieil homme presque caché derrière la paperasse du bureau. Il griffonnait une nouvelle histoire farfelue dont il avait le secret et qui lui avait fallu plusieurs prix littéraires.
- Bonjour, Juno. Comment vas-tu ?
- Surement mieux que toi, mon cher Bastien. As-tu seulement mangé depuis hier ? Tu es pâle comme un de mes vieux torchons pour le ménage.
- Je n’ai pas le temps. Je t’ai déjà expliqué. Je veux finir cette histoire avant que sonne mon heure. Je n’ai pas ta santé et je ne pourrais pas vivre jusqu’à deux cent quarante deux ans.
Effectivement Bastien était malade atteint d’un mal qu’il avait préféré oublié. Son cancer grandissait en lui en lui assénant des coups aussi douloureux que ceux d’un poignard tenu par un ami. Ces cheveux, auparavant brun, était devenu gris : celui du ciel lors des jours de pluie. L’homme était déjà fin, mais la maladie et ces longues périodes sans repas l’avait terriblement amaigrit. Sa peau était parcheminée comme le papier qu’il manipulait jour après jour.
- On devait avoir dix ans… Je crois que je ne me trompe pas. Oui, nous avions dix ans. Tu t’en souviens surement très bien : tu as ton incroyable mémoire. On parlait du futur. On avait chacun un rêve…
Bastien sourit subtilement tant qu’il se remit à gratter le papier à l’aide de son crayon. Il aimait se souvenir : il avait depuis toujours tiré ces histoires de souvenir ou de rêve, même si ce n’était pas toujours les siens. Il cessa d’écrire et ferma les yeux pendant que son amie de toujours lui racontait son souvenir.
- On était dans une cabane et on venait de résoudre l’un de nos enquêtes. Je ne sais plus qu’est qui en découlait, mais c’était une enquête compliquée… Je t’ai alors fait par de mon rêve. On l’a réalisé, on est parti toute une bande de joyeux larrons sur une plage, même si aucun de nous deux n’avaient apprit à conduire comme on comptait le faire.
Tu m’avais, alors, dit qu’on avait le temps. Parce que tu allais vivre jusqu’à deux cent quarante deux ans dans un accident de deltaplane. C’était complètement fou, mais j’aurais aimé que tu puisses réaliser ce rêve…
Bastien se souvenait vraiment bien de ce jour là, des deux rêves et de la folie de leurs aventures. Il eut un sourire nostalgique qu’une vague de douleur fit disparaître. Sa maladie ne lui permettait même pas d’être nostalgique.
- Tu sais Juno. Je me suis plutôt bien débrouillé. Je ne suis pas devenu auteur pour rien. Mes deux cent quarante deux ans, je les ai largement. J’ai vécu mille fois plus qu’on a l’impression. Parce que je me suis servi de ma caboche. Chaque mot que j’ai tracé, chaque histoire, je les ai vécu avec mes personnages, en eux en quelque sorte. Et puis… Pour ce qui est du deltaplane, ne t’inquiète pas, je ne vais pas tardé à en faire l’expérience…